dimanche 15 mai 2011

Dans les rues de cette ville, tant de gens piétinent. Tout grouille, tout fourmille. Pourtant le chaos ne semble pas exister ici. Chaque mouvement est calculé, la moindre inspiration doit être réglée sur le rythme de la cité. Étrangère à ces coutumes, il me faut m'adapter, entrer dans cette danse qui anime tous les corps. Je ne compte plus mes faux-pas, cependant les gens restent imperturbables, habitués à ces erreurs, si fréquentes, de débutants déboussolés. Mais si je me trompe si souvent, c'est parce que je suis absorbée par la contemplation des merveilles qui s'étalent sous mes yeux : monuments -illustres ou méconnus, stimulant l'imaginaire- et par ses personnes, tellement semblables mais si différentes de ceux que j'ai l'habitude de côtoyer. Ici les gens sont tous pressés, ils n'ont pas le temps, le rythme leur suffit. Ils vivent au gré des bus, des trains et des métros,  ils connaissent le tempo. D'ailleurs leur vie est si ordonnée qu'elle en devient artificielle : ils se regardent, s'observent, mais ne se voient pas. Ainsi, deux inconnus, assis côte à côte ne se rendent pas compte qu'ils sont fait l'un pour l'autre. Ils ne se voient pas, ils ne font que percevoir un défilé incessant de coupes de cheveux, de ceintures et de cravates, brèves touches de couleurs dans ce monde en noir et gris. Quelques détails viennent parfois retenir l'attention de l'observateur : une trace de maquillage sur un visage tendre qui donne aux demoiselles de faux airs de petite fille sage, une chemise rose, qui choque l'œil d'autant plus qu'elle se trouve sur un torse d'homme -ce qui donne aux observatrices l'envie irrésistible de leur arracher sur le champ, sauvagement. Parfois, au milieu de tout ce bruit, quelques mots émergent : des hommes et des femmes d'affaires s'époumonent dans leur téléphone afin d'être entendus de leur locuteur invisible qui doit subir avec patience cette conversation imposée : taux de suicide, encadrement de tableaux, conseils vestimentaires, problèmes familiaux, questions, réponses, sujets divers, et parfois mots d'amour s'exposent à toutes les oreilles qui, par souci de politesse, tentent de s'en détourner en s'exposant aux notes toujours plus grésillantes des MP3 dernier cri. Si l'on ne se voit pas, on ne cherche pas non plus à s'écouter, alors on se bouscule. On se bouscule parce qu'on est pressé, parce qu'on connaît le rythme. Personne ne doit s'arrêter, il faut suivre pour survivre. Parfois, ces gens pressés,  s'accordent une pause, qu'ils subissent malgré eux : ils plongent leur nez dans les journaux et réduisent ainsi l'espace -déjà si étroit- qui leur était destiné. Ses bouts de papier, couverts de signes et de visages se retrouvent écrasés à maintes reprises, car il faut faire vite, et que cela fait parti du mouvement : il faut sacrifier ce qui est inutile sur l'autel du Dieu du Temps, qui est aussi, comme on le dit souvent, celui de l'Argent. Certaines, pour acquérir ses faveurs, cherchent à se faire voir. Au milieu de cette marée d'êtres pressés, elles passent des heures à se pomponner. Elles connaissent tous les codes de la séduction et déploient de nombreux artifices pour se démarquer. Ces infects stratagèmes -pantalons roses, bouffants, associés à des talons hauts de quinze centimètres qui blessent irréversiblement les pieds et à des micro-débardeurs moulants- rendent la vie des femmes infâme. Et pourtant, à ce que l'on dit, les plus belles d'entre elles se trouvent à la capitale.

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